Article publié le 7 février 2023.
Quelle retraite pour les travailleur.euse.s handicapé.e.s ?
Selon une étude Agefiph/IFOP d’octobre 2022, parmi le "niveau d’inquiétude pour les prochains mois d’être atteint par diverses difficultés", la réforme des retraites annoncée est la première source d’inquiétude pour les personnes en situation de handicap interrogées (87% au total expriment une inquiétude sur ce sujet). Une inquiétude bien légitime : réformer les retraites, la durée de cotisations, l’âge légal de départ à la retraite ou encore le système de calcul des pensions ont des effets désastreux et directs sur les travailleur.euse.s handicapé.e.s.
Que ce soit par les possibilités de départ anticipé, le maintien dans l’emploi ou par le montant des pension, les travailleur.euse.s handicapé.e.s subiront de plein fouet une réforme injuste.
-* 64 ans : c’est baisser les pensions des travailleur.euse.s handicapé.e.s
Les travailleur.euse.s handicapé.e.s représentent près d’1 actif sur 10, c’est plus de 2,7 millions de travailleur.euse.s ayant une reconnaissance administrative du handicap. 32% d’entre eux travaillent à temps partiels, et sont plus vulnérables au chômage de longue durée (919 jours d’ancienneté moyenne d’inscription au chômage contre 706 jours pour l’ensemble du public), 482 373 travailleur.euse.s handicapé.e.s étaient inscrits à Pole Emploi en juin 2021, dont 63 % en situation chômage de longue durée. Le taux de chômage est de 7,4% pour l’ensemble de la population active au 2ème trimestre 2022, ce taux de chômage est de 14% pour les travailleur.euse.s handicapé.e.s.
Les personnes en situation de handicap passent en moyenne 8,5 années sans emploi après 50 ans, contre 1,8 ans pour l’ensemble de la population. Une situation qui pousse les travailleur.euse.s handicapé.e.s à retarder au maximum le départ à la retraite pour valider le plus de trimestres possibles. Ils liquident leur retraite à 62,4 ans en moyenne, 0,3 ans de plus que l’ensemble de la population [1].
Ces 8,5 années sans emploi après 50 ans en moyenne pour les travailleur.euse.s handicapé.e.s représentent déjà un sérieux problème pour la retraite à cause des réformes précédentes. Par ces 8,5 années en moyenne, les travailleur.euse.s handicapé.e.s subissent de plein fouet le système de décote et de fait la baisse des pensions. Une peine qui s’aggravera d’autant plus avec un âge légal de départ fixé à 64 ans.
-* 64 ans : c’est toujours autant d’obstacles pour la retraite anticipée
Pour rappel, la retraite anticipée pour handicap qui, sur le papier, permet un départ à la retraite à partir de 55 ans à taux plein, nécessite :
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- D’avoir un taux d’incapacité permanente reconnu d’au moins 50% ;
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- Une durée d’assurance (nombre de trimestres) minimal, selon l’année de naissance. Aussi, il est nécessaire qu’il n’y ait pas plus de 20 trimestres de différences entre les trimestres cotisés (trimestres ayant donné lieu à un versement de cotisations calculées sur les revenus d’activité) et les trimestres assimilés (trimestres sans cotisation mais validé, du type chômage, maladie, congé maternité/paternité etc). Ainsi, pour partir à 55 ans, une personne née en 1973 doit ainsi avoir validé 132 trimestres (33 années) dont 112 effectivement cotisés.
En 2019, la CNAV recense 2 604 travailleur.euse handicapé.e.s partis en retraite anticipée via ce dispositif. 10 ans plus tôt (2009), ils étaient au nombre de 969. 38% de ces départs anticipés pour handicap sont attribués entre 60 ans et l’âge légal [2].
Ce que la réforme Borne change sur ce dispositif : La seule condition d’avoir cotisé un nombre minimal de trimestre sera maintenue, la condition de ne pas avoir 20 trimestres de différences cotisés/assimilé disparait.
Pour autant, un doute subsiste sur la durée de cotisation minimale demandée désormais : sera-t-elle toujours un nombre "bas" demandé, comme c’était le cas avec la condition validée/cotisée alors d’usage ? L’on peut imaginer un scénario où ce nombre de trimestres cotisés soit relevé à mi-chemin avec l’ancien nombre validés demandé ou entre deux, tout est possible.
Enfin, reste la difficulté de la reconnaissance du handicap. En effet, les trimestres pris en compte pour le dispositif sont des trimestres "handicapés", où il a donc cotisé tout en étant reconnu administrativement comme handicapé.e.
Sachant que l’origine des handicaps/déficiences est variée : seulement 15% des handicaps le sont de naissance ou surviennent pendant l’enfance, 17% viennent de maladies professionnelles ou d’accidents de travail (donc surviennent aléatoirement pendant la carrière du travailleur.euse), 23% ont pour origine une maladie contractée hors cadre professionnelle (là aussi, à un moment aléatoire de la carrière donc) et 23% ont pour origine le vieillissement même de la personne
-* 64 ans : c’est donc une nouvelle attaque envers les travailleur.euse.s handicapé.e.s
Derrière une prétendue avancée pour les travailleur.euse.s handicapé.e.s, les difficultés restent : les travailleur.euse.s handicapé.e.s sont moins reconnues que les travailleur.euse.s valides, et sont plus vulnérables au chômage et notamment au chômage de longue durée, de fait ils ont des pensions plus réduites et donc un vieillissement encore plus précaire.
Même si les travailleur.euse.s en situation de handicap pourront toujours -sur le papier- partir à la retraite à 55 ans, bien peu y arrivent : entre la lourdeur administrative qui qualifie la reconnaissance du handicap, la partie aléatoire de la survenue du handicap (qui peut survenir aussi tôt que tard dans la carrière professionnelle) et donc la difficulté de cotiser des « trimestres handicapés », le dispositif de départ en retraite anticipé pour handicap reste toujours difficilement mobilisable.
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- C’est en agissant sur le chômage, la formation, l’insertion et en agissant pour faciliter les départs anticipés que l’on agit sur les futurs retraité.e.s handicapé.e.s, une politique qui doit coupler départ anticipé, santé au travail, adaptation des postes, reconnaissance des pénibilités etc.
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- Les dispositifs de départ anticipé doivent être amélioré pour répondre aux besoins et aux réalités des travailleur.euse.s handicapé.e.s. La course aux trimestres et la menace de la décotte ne doivent plus être une pénalité pour des travailleur.euse.s déjà pénalisé.e.s par un monde du travail hostile.
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- Aussi, il est nécessaire de prendre en compte les pénibilités et leur exposition dans l’âge et les conditions de départ à la retraite, par la possibilité d’un départ anticipé jusqu’à 5 ans avant 60 ans selon les années d’expositions.
Notes