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Article publié le 9 avril 2008.

Devenir des Marchés Publics et des PCR

L’impact des projets sur la mission marchés publics : un enjeu de démocratie.

Après la dernière réforme du code des marchés publics, après la remise en cause de l’action de la DGCCRF sur le contrôle de la commande publique, doit-on considérer que les projets de réformes n’auront plus d’impact sur le rôle et la place de notre administration sur cette mission spécifique ?

Le tout concurrence dans l’exercice de la mission MP aurait-il enrayé la machine ?

La réorientation de la mission au cours de ces dernières années, accompagnée d’une réduction des effectifs affectés de l’ordre de 20 %, est loin d’avoir fait ses preuves. L’échec est patent quant à la production d’indices de pratiques anticoncurrentielles. Cela n’a rien d’étonnant alors que tout a été mis en œuvre pour éloigner les DDCCRF des collectivités, privant l’administration d’une source importante d’informations alors qu’elle bénéficiait de la reconnaissance de ses capacités d’expertise.

Dans ces conditions, les projets en cours ne peuvent qu’inquiéter quant au devenir de cette mission qui pourrait être placée sous le commandement direct des préfets, dans un contexte de libéralisation accrue de la commande publique pour les contrats de partenariat.

Opportunité et opacité : des dérives définitivement banalisées ?

La RGPP met le préfet de région au centre du commandement et de l’organisation des services déconcentrés de l’Etat relevant de sa compétence.

Ce projet laisse augurer des changements importants au regard du droit des marchés dès lors que la tutelle préfectorale s’exercera en direct sur le service assurant les contrôles. Si cette crainte largement fondée vaut pour toutes les missions de la DGCCRF concernées, celle du contrôle des marchés publics est au cœur d’enjeux économiques qui produiront un accroissement des interventions et des pressions tenant à l’opportunité politique selon les dossiers traités et la collectivité concernée.

Le projet de loi Novelli : comment éloigner les contraintes et les contrôles

Alors qu’au plan européen, le calme règne du côté du code ou des délégations de service public, en France le projet de loi Novelli, soutenu par le groupe UMP, s’apprête à livrer un morceau de choix aux appétits du marché en faisant sauter les verrous de la procédure régissant le contrat de partenariat (communément appelé PPP pour partenariat public-privé).

En passant d’une procédure contraignante à une procédure de droit commun de la gestion publique, le projet ouvre largement les vannes à des contrats juteux pour les grands groupes privés qui se verront confier le financement, la construction, l’entretien et la gestion d’équipements utilisés dans l’exercice de missions de service public (par exemple la construction et l’entretien d’hôpitaux, d’écoles…).

Une soixantaine de contrats sur les deux dernières années, principalement conclus par l’Etat, ne pouvaient à l’évidence contenter les entreprises.

Ce désengagement du public pour tout ce qui n’est pas considéré comme son « cœur de métier » génère des coûts cumulés plus importants en loyers (financés par l’impôt durant plusieurs dizaines d’années), le renoncement à tout contrôle sur les missions exercées (dans les prisons en PPP, le gestionnaire privé assure la restauration, l’entretien, la sécurité, la « cantine », les ateliers, la formation) et une perte lourde des savoir-faire dont disposent aujourd’hui tant l’Etat que les collectivités. A la clé, des pénalités dissuasives pour rupture de contrat qui lient solidement et durablement l’Etat ou la collectivité à l’entreprise mettant ainsi cette dernière à l’abri de toute conséquence d’un revirement politique.

Enfin et afin de s’assurer que nul de viendra perturber la nouvelle distribution du gâteau, le projet de loi Novelli introduit la dépénalisation du droit public des affaires : les PPP ne pourraient jamais être soumis au délit de favoritisme !

Une réforme des rapports fournisseurs-distributeurs pour améliorer le pouvoir d’achat

La loi du 3 janvier 2008 (loi Chatel) et le projet de loi LME concrétisent certaines intentions du gouvernement concernant la réforme.
Ces mesures, qui sont à regarder sous plusieurs de leurs facettes, font partie d’un ensemble cohérent.

Intentions gouvernementales :

- augmenter du pouvoir d’achat sans augmenter les salaires :

il s’agit de créer les conditions d’une plus grande concurrence dans la distribution en donnant les moyens juridiques aux distributeurs de baisser leurs prix de vente.

  • Les leviers mis en œuvre :

l’énorme réserve constituée par les marges arrières que les distributeurs perçoivent auprès des fournisseurs, les prix d’achat non négociables, l’urbanisme commercial.

  • Les solutions trouvées :

Permettre l’intégration dans les prix de vente des marges arrières dans leur totalité (triple net), ce qui revient à revenir sur l’interdiction qui en était faite jusqu’à présent. Rendre négociable les prix et les conditions générales de vente, ce qui était interdit jusqu’à présent sous peine de discrimination abusive. Libéraliser l’implantation des grandes surfaces pour créer de la concurrence, ce qui revient à renoncer à un principe destiné à l’origine à protéger le commerce de proximité.

- dépénaliser le plus possible les infractions touchant la vie des affaires :

en matière de pratiques restrictives le principe des poursuites au plan civil est acquis depuis 1986 pour les actions de fond (poursuite de la facturation de services non rendus). Quelques dispositions pénales ont été passées sous le régime civil par la loi du 2 janvier 2008.

Un grand oublié : le consommateur toujours pas au centre des préoccupations de ce qu’on baptise "droit des affaires" et qui est pourtant le principal concerné (nature des commerces disponibles, niveau des prix, etc.).

Aujourd’hui le DG demande une "repénalisation" des sanctions des dispositions qui vont remplacer l’abandon de l’interdiction de la discrimination et des marges arrière abusives (abus de puissance d’achat probablement).

En plus,M-D Hagelsteen préconise [1] la mise en place d’un code de bonne conduite sur les relations fournisseurs-distributeurs dont il reviendrait à la DGCCRF de veiller à la bonne application et de publier la liste des distributeurs qui ne respectent pas leurs engagements.

Conséquences :

 abandon de tout un pan législatif du code de commerce qui n’avait pas cessé de se renforcer depuis 1986 (et même avant, puisque l’introduction de l’interdiction du refus de vente, des pratiques discriminatoires et de la revente à perte date du début des années 60).

 suppression de la notion de discrimination fautive, socle de la loyauté des relations commerciales,

 renoncement aux dernières barrières à l’implantation et à l’extension des grandes surfaces (nuancer sur l’efficacité dans ce sens de la CDEC et de la CNEC).

 les agents de la DGCCRF deviendront des auditeurs des relations fournisseurs distributeurs, en cela, réellement mis au service des entreprises pour arbitrer les différends, clouer au pilori sans sanctionner les plus "mauvais" opérateurs.

Conséquences des conséquences :

- ce qui est sûr :

  • augmentation de la part de marché de la grande distribution, et principalement des maxi disconteurs,
  • absolution des fournisseurs et des distributeurs sur la pratique des marges arrières illicites,
  • mouvement de concentration de la grande distribution suite à disparition du ou des plus faibles dans la lutte concurrentielle.

- ce qui est beaucoup moins sûr :

la baisse des prix au détail qui n’est pas assurée, les distributeurs ne vont pas baisser considérablement leurs marges et les tentions inflationnistes (reconnues par la ministre) font augmenter les prix chez les fabricants. Il y aura, suivant les intentions actuellement exprimées des distributeurs, peut-être un renforcement de certaines actions promotionnelles, ce qui irait tout à fait dans le sens des orientations gouvernementales sur le "low cost" [2] (en anglais dans un texte officiel !), acheter malin et autres incitations à la débrouillardise individuelle.

- sur les missions de la DGCCRF :

L’intervention de l’administration dans le processus de décision d’implantation ou d’agrandissement des grandes surfaces sera certainement remise en question.

Il semblera forcément incohérent de contrôler la réalité des services facturés en marge arrière tout en souhaitant voir ces mêmes marges rétrocédées aux consommateurs (va-t’on vers un blanchiment de sommes dont il est notoires qu’elles sont extorquées dans des conditions peu limpides).

L’abandon de des enquêtes initiées depuis plusieurs années et des sanctions qui leurs font suite est à prévoir.

La loi sur la modernisation de l’économie (projet à l’étude) pourrait prévoir une régulation par l’abus de puissance d’achat que le DG souhaiterait voir revenir dans le giron pénal ce qui n’est pas du tout dans l’air du temps.

C’est dit, c’est écrit…

Marie-Dominique Hagelsteen, Conseiller d’État :

"…une réflexion pourrait être utilement engagée sur les moyens d’investigation dont dispose la DGCCRF et sur la possibilité de les développer. Demain, comme aujourd’hui, c’est l’efficacité du contrôle assuré par les services de l’Etat qui assurera le maintien d’un certain équilibre dans les relations commerciales."

(Rapport du 12 février 2008 sur la négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente)

Discours de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 4 octobre 2007, en installant le groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires :

« Recentrer le droit pénal sur sa vocation première de protection générale, lui faire retrouver son essence même, est un gage de pertinence et d’efficacité de l’action pénale.

A l’évidence, les sanctions pénales sont parfois inadaptées, alors que d’autres formes de sanctions ou d’autres modes de régulation tout aussi efficaces existent par ailleurs ou pourraient être mises en place.

 Ainsi en est-il, par exemple, des infractions relatives aux formalités de constitution des sociétés. Pour celles-ci, on peut songer à privilégier un contrôle a priori ou un système de nullité de plein droit

 De même, il subsiste encore de nombreuses infractions d’omissions alors qu’un dispositif civil d’injonction de faire sous astreinte a été développé parallèlement. Il permet de remédier à l’omission plus efficacement.

[………..]

 Des entrepreneurs peuvent dans d’autres cas être inquiétés pour les mêmes faits, à la fois par l’autorité judiciaire et par l’autorité administrative.

C’est le cas, par exemple, des pratiques anticoncurrentielles : elles sont efficacement sanctionnées par le Conseil de la Concurrence. Mais elles peuvent également faire l’objet de poursuites pénales. »

Notes

[1in rapport sur "La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente" 12 février 2008

[2rapport Beigbeder

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