Logo du site

Article publié le 19 juillet 2007.

Redécoupages ministériels, transferts des missions, restructurations des services, démantèlement de l’Etat

Que va-t-il rester des administrations centrales de l’Etat et de leurs agents ?

La majorité issue des élections du printemps dernier entend procéder à une nouvelle étape dans la remise en cause de l’organisation, du fonctionnement et des missions de l’Etat. L’Etat a besoin d’être réformé. Mais ce qui s’annonce est particulièrement inquiétant pour les usagers et pour les agents.

- L’organisation de l’Etat connaît une évolution institutionnelle sans précédent. N. SARKOZY avait annoncé la couleur avant même son élection : « Je serai un président qui gouverne », faisant fi de l’article 20 de la Constitution qui dispose que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Curieuse conception de la fonction présidentielle, alors que la Constitution place le chef de l’Etat en position d’arbitre et de régulateur du fonctionnement des institutions. Voilà donc un président qui fait aussi fonction de Premier ministre et de chef du parti majoritaire. La CGT s’inquiète de cette dérive vers une « hyperprésidence » s’appuyant sur un Elysée surgonflé, au détriment d’un gouvernement rendu croupion. Car en dessous, ce sont aussi des administrations qui vont se retrouver en marge de leur rôle de conception, d’élaboration et de pilotage des politiques publiques, pourtant garant de la neutralité de l’Etat et de la défense de l’intérêt général.

- Le fonctionnement de l’Etat va davantage être remis en cause par la concrétisation du mythe libéral de non remplacement d’un départ à la retraite sur deux. – 9500 emplois en 2006, soit près du double de ce qui était prévu - 15 000 prévus en loi de finances 2007, et jusqu’à – 40 000 en 2008, selon le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, E. WOERTH. Par exemple, comment répondre au besoin d’allègement des classes surchargées, de la maternelle au lycée, si 10 000 emplois, voire davantage, sont supprimés dans l’éducation nationale ? Le rattachement de la fonction publique au ministère des comptes nous donne une réponse claire : la maîtrise des dépenses prend le pas sur la qualité du service public. C’est d’autant plus suicidaire que les « gains » attendus se limitent à 500 millions d’euros. Soit peu de choses par rapport aux 13 milliards d’euros que coûtera le « paquet fiscal » de M. Sarkozy.

Des économies limitées pour des dégâts irréversibles. Faire mieux avec moins de moyens : F. FILLON a lancé le 10 juillet une révision générale des politiques publiques présentée comme une « véritable révolution dans la réforme de l’Etat » : « Nous voulons profiter de l’opportunité exceptionnelle que représentent les 70 000 départs par an dans les années qui viennent », en s’inspirant du modèle canadien de réduction des dépenses publiques : - 22% de fonctionnaires canadiens entre 1993 et 1997, ça promet ! Sans parler des modifications impactant les structures, les corps, les rémunérations, la gestion des ressources humaines que cette réforme nous annonce.

- Les missions de l’Etat sont menacées pour certaines d’entre elles.
Prenons l’exemple de l’administration sociale de l’Etat. X. BERTRAND a récemment clairement assumé la perte d’influence du ministère du travail : « Une nouvelle logique d’organisation de l’action publique a conduit à ce que les politiques de l’emploi soient placées sous l’autorité du ministère de l’économie (…), à ce que la mise en œuvre des règles relatives aux conditions d’entrée, de séjour et d’exercice d’une activité professionnelle des étrangers en France soit confiée au ministère de l’immigration ». Le démantèlement de l’Etat social préfigure la casse sociale, car en privant les agents des ministères sociaux de leurs missions de protection des plus démunis (chômeurs, précaires, immigrés), on soumet les politiques sociales au primat de l’économie et de l’identité nationale.

Le ministère de l’Industrie, composé de directions d’administrations centrales, des directions régionales (les DRIRE) et des Ecoles des Mines est scindé entre le ministère des Finances et celui de l’Ecologie. De quel instrument disposera l’Etat pour mener une politique industrielle ? Où recrutera-t-il les compétences dont il a besoin dans ce domaine ?

La Direction du tourisme : son transfert du ministère de l’Equipement vers le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi et la multiplication des externalisations de missions (ex : ODIT-France) traduit une vision mercantile de ce secteur au détriment de celle d’un aménagement du territoire. Les personnels en subissent déjà les conséquences par une plus grande précarisation de leur emploi et des remises en cause de leurs missions.

Un démantèlement qui ne date pas d’hier

Nos administrations sont l’objet depuis plusieurs années d’un grignotage progressif de leurs prérogatives. Aucune n’est épargnée par la réduction des moyens, l’externalisation des fonctions et missions, l’absorption de l’échelon administratif par le politique.

Quelques illustrations en témoignent :

- Réduction des moyens

L’entrée en vigueur de la LOLF, en 2006, a profondément modifié l’organisation et le fonctionnement de l’Etat. La LOLF n’est qu’un outil. Mais un outil au service de quoi ? S’il s’agit de rendre la gestion publique plus transparente et plus efficace, d’accord. Si c’est pour justifier, au nom d’une maîtrise comptable, la réduction des emplois et des moyens de fonctionnement, la prédominance de critères directement inspirés du secteur marchand pour piloter les politiques publiques, la cession du patrimoine de l’Etat pour répondre au besoin à court terme de réduire les déficits, non, mille fois non !

- Réductions des emplois :

Aux Finances ce sont plus de 800 emplois qui ont disparu en administration centrale entre 2002 et 2007.
A l’Equipement, le passage à la Lolf a permis la suppression de 1200 postes en sus des baisses d’effectifs annoncées. Chaque année, plus de 1 000 emplois sont supprimés et le rythme s’accélère.

- Réduction des moyens : au ministère du travail, une logique de réduction du coût de fonctionnement courant par agent s’est enclenchée en 2004. En 2007, il s’agit de réduire ce coût de 3%. En administration centrale, tous les postes de dépenses ont été impactés en 2006 : matériel et fournitures de bureau (-7%), mobilier (-16%), frais de correspondance (-18%), déplacements (-8%), télécommunications (-9%), informatique (-15%), documentation (-3%). Et pendant que les conditions de travail des agents sont ainsi altérées par la pression hiérarchique sur la réduction des moyens, les frais de représentation des directeurs augmentent de 50 à 150% !

- Cession des actifs immobiliers : Le ministère des Affaires Etrangères et Européennes a racheté plusieurs fois son prix de vente au fonds de pension américain Carlyle le bâtiment de l’Imprimerie Nationale de la rue de la Convention. L’Imprimerie Nationale, société anonyme possédée à 100% par l’Etat après avoir été un budget annexe et une direction d’administration centrale, le lui avait vendu 85 millions en 2003. Pendant ce temps les trésors de l’Atelier du Livre sont toujours sans lieu d’accueil. A qui profite le crime ?

L’Equipement aussi cède son patrimoine : le plus emblématique de ces projets : la vente de l’aile Sud de la Grande Arche où sont logés les agents d’administration centrale. C’est aussi tout le patrimoine routier qui a été bradé, vendu aux grandes entreprises de BTP pour l’Euro symbolique Les usagers sont réduits à des vaches à lait, devant payer les redevances d’usage que l’Etat n’est plus en mesure de réglementer. Les Partenariats Public Privé ouvrent quant à eux la voie au péage des infrastructures par les usagers sur le réseau routier national aujourd’hui non concédé.

Externalisation des fonctions et des missions

Nous assistons à un processus rampant de privatisation des fonctions de l’Etat. Au nom du recentrage de l’administration centrale sur ses fonctions stratégiques d’état-major, la maintenance, l’informatique, la logistique, le nettoyage, l’accueil, la restauration, la reprographie, l’emploi de chauffeurs, voire la gestion des rendez-vous sont de plus en plus confiés à des prestataires privés. La qualité du service s’en ressent. Parmi les personnels que nous croisons tous les jours dans nos locaux beaucoup ne sont plus des collègues. Ce sont souvent des contractuels précaires de droit privé soumis à des conditions de travail déplorables, à des droits syndicaux contestés, tout cela sous nos yeux.
A l’Equipement, c’est le financement des infrastructures routières qui a été externalisé et confié à l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France) remettant en cause les moyens à dégager pour le transport multimodal.

D’autres fonctions sont assurées par un maquis de cabinets, experts, agences qui pratiquent audits de qualité, évaluation des « process », conseils en gestion selon les normes ISO. Ils coûtent cher, tandis que leur connaissance de l’environnement administratif et de ses contraintes, est limitée.

L’externalisation des missions est un phénomène encore plus inquiétant. Appliquant à la lettre les préconisations du rapport PICQ sur l’Etat en France de 1994, « les administrations de gestion et de mission doivent devenir des administrations de régulation ».
Pire, au ministère de la santé, la direction de la pharmacie et du médicament, supprimée en 1993, a été remplacée par l’Agence du médicament, puis par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (1999), moyennant quoi dans ce domaine, l’administration centrale ne régule plus rien depuis une quinzaine d’années.

La multiplication des agences, des Autorités Indépendantes administratives ou publiques, des services à compétence nationale, des groupements d’intérêt publiques ou économiques, des établissements publics administratifs ou industriels et commerciaux, à partir d’anciennes directions d’administration centrale est le signe d’un démantèlement continu de l’Etat central et d’une perte de maîtrise des politiques.

Mainmise du politique sur l’administratif

Les cabinets ministériels grossissent au détriment des directions d’administration centrale. Au ministère du travail, ce sont près de 300 agents qui sont officieusement identifiés, soit l’équivalent d’une direction d’administration centrale. Officiellement, ils sont 81 mais par le biais des mises à disposition, leur nombre est quadruplé. Cela soulève de nombreuses questions :

 une gestion opaque, faute de comptabilisation en mode LOLF ;
 des garanties limitées, pour les agents recrutés en contrats cabinet ;
 une politisation à outrance des politiques publiques au détriment du travail des directions d’administration centrale, dont la qualité des expertises est garantie par la neutralité des fonctionnaires.

Autre exemple, dans le champ sanitaire et social, une récente mission d’audit de modernisation réalisée en avril 2007 souligne que les effectifs d’administration centrale ont augmenté de 25% entre 1997 et 2006. Normal pour une administration qui doit faire face à de très fortes attentes des usagers (crises sanitaires, protection sociale, action sociale), ce qui l’amène à assurer 30% de la production normative annuelle de l’Etat et près de 25% des questions écrites des parlementaires. Mais comment expliquer que les « directions de politique ne regroupent que 50% des effectifs de l’administration centrale », les 50% restant étant répartis notamment dans les services de gestion, mais aussi dans les petites structures (délégations ou missions interministérielles) et les cabinets ministériels, ces derniers grossissant à vue d’œil en recrutant des A et A+ ?

Cela démontre qu’en affichant la volonté de recentrer les administrations centrales sur leurs fonctions stratégiques de pilotage, en fait ce sont les cabinets ministériels qu’on favorise au détriment des directions.

La politisation des missions d’intérêt général, ce sont aussi les pressions exercées sur les services statistiques ministériels :

 à la santé, priorité donnée aux notes cabinet, au détriment des publications publiques ;
 à la fonction publique, reports de publications ;
 à l’agriculture, retards de publications dus aux pratiques d’autocensure ;
 au travail, publication de chiffres du chômage non fiables, occasionnant, en avril 2007, une grève des personnels de la DARES contre la propagande gouvernementale et pour la défense de l’indépendance et la neutralité de la statistique publique française.
 A l’INSEE, incapacité pour la première fois à publier en temps et en heure des chiffres fiables du chômage.

Des menaces présentes et à venir

- Des restructurations avant un plan social ?

Une nouvelle architecture gouvernementale reposant sur 15 ministères, une loi organique fixant ensuite dans le temps cette organisation : le rapport PICQ l’avait prévu, SARKOZY le fait. A ceci prêt que derrière l’objectif affiché de rationalisation et de simplification, ce sont de nouveau 31 ministres ou secrétaires d’Etat, et des centaines de conseillers recrutés dans les cabinets ministériels qu’il s’agit de récompenser et d’héberger.

Les décrets d’attribution publiés début juin marquent une profonde réorganisation des services d’administration centrale, par le jeu d’autorités ministérielles uniques, conjointes ou de mises à disposition. Difficile dans le contexte actuel de s’y retrouver, alors que parallèlement le projet de loi de finances reposant sur une autre architecture – celle des missions et programmes – est en préparation. Plusieurs milliers d’agents ne savent pas encore par qui ils seront gérés, devant quelles instances paritaires l’organisation et le fonctionnement de leurs services, ainsi que les questions statutaires seront traités.

Dans le domaine de l’emploi, les agents de la DGEFP déplorent l’émiettement de l’administration sociale. Ils se demandent qui est leur ministre, tant la séparation de la politique du travail et de la politique de l’emploi est artificielle. La sécurisation des parcours professionnels, le contrat de travail, le licenciement économique, les relations sociales relèvent aussi bien du travail que de l’emploi. Alors pourquoi transférer la politique de l’emploi à Bercy ? Que va-t-il advenir des autres services : de la direction du personnel et des moyens du ministère du travail (DAGEMO) qui gère essentiellement des crédits relevant de l’emploi (11 milliards d’euros sur un total de 12,5 milliards pour la mission travail - emploi) ou du service statistique (DARES) qui est lui-même à cheval sur les deux secteurs ?

Dans le domaine de l’immigration, une nouvelle administration centrale se met en place. Cela marque la création d’un ministère de plein exercice à l’intitulé lourd de sens (ministère de l’intégration, de l’immigration, de l’identité nationale et du co-développement), en ce qu’il stigmatise l’une en l’opposant à l’autre, l’immigration contre l’identité nationale. Dans le domaine social, les missions traditionnelles de plusieurs directions seront dévoyées. La direction des populations et des migrations (DPM) se trouve démantelée entre champ solidarité et champ immigration. Au ministère du travail, X. BERTRAND a récemment déclaré que «  la recherche d’une nouvelle logique d’organisation de l’action publique a ainsi par exemple conduit à ce que la mise en œuvre des règles relatives aux conditions d’entrée, de séjour et d’exercice d’une activité professionnelle des étrangers en France soit confiée au ministre de l’immigration ». Quid de la DGT (direction générale du travail), dont la mission est de concevoir et mettre en œuvre la politique du travail pour tous les salariés ? Quid de la DILTI (délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal) ? Quid des services de la main d’œuvre étrangère dont la mission est de délivrer les titres de travail ? Quant aux modalités de rattachement de ces services au ministère de l’immigration, elles sont encore floues.

Dans le domaine des comptes publics, la DSS (direction de la sécurité sociale) se trouve soumise au primat de la maîtrise des dépenses, sous l’autorité principale du ministre des comptes publics et du budget. De quel poids pèseront les agents de la DSS dans la définition des moyens budgétaires dédiés à la défense des assurés sociaux et des besoins des autres directions du ministère de la santé (direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, direction générale de la santé) ? Sans compter avec la dérive annoncée, consistant à se doter des structures et moyens nécessaires pour fiscaliser complètement les ressources de la protection sociale.

Dans le domaine de l’équipement, avec le transfert de 30 000 agents vers les Conseils Généraux, avec les perspectives de nouvelles suppressions d’emplois et de nouveaux transferts (parc routiers), avec la perspective de recomposition des directions liées à la fusion de l’Equipement et de l’Ecologie, les agents d’administration centrale sont à la veille d’une grande tourmente.

Dans l’ex-Minefi, le ministère des finances est séparé entre 3 entités, les Finances, les Comptes Publics et l’Ecologie. Ce qui aurait du et pu être un véritable ministère de la Production, alliant industrie, économie et fiscalité, est éclaté entre un ministère des restrictions budgétaires (les comptes publics), un ministère au service des entreprises telles qu’elles voient leurs intérêts (économie et emploi) et un ministère de l’écologie à l’efficacité incertaine.

Administration centrale – services déconcentrés même combat

Les administrations centrales ne sont pas les seules à être concernées par ce vaste plan de restructurations. Les expérimentations menées actuellement au niveau départemental et régional ont montré la voie qu’entendait suivre le gouvernement en matière de rapprochement de services :

 DRIRE (directions régionales de l’Industrie) - DIREN (Environnement) ;
 DDE (directions départementales de l’Equipement)- DDAF (Agriculture) ;
 DDTEFP (directions départementales du Travail et de l’Emploi) – DDASS (affaires sociales et santé) – DDJS (jeunesse et sports)
 Voire regroupement général de tous les services au sein de 4 directions générales, sous l’autorité du préfet (expérimentation du Lot) : territoires, populations, sécurité, GRH et logistique.

Or, les redécoupages ministériels récents correspondent à un schéma proche et à une logique identique à celle de ces expérimentations locales : modifier les missions, faire des économies d’échelle en réduisant les emplois et les moyens de fonctionnement, sans se soucier de la baisse de la qualité du service public rendu aux usagers que cela induira.

Ces premiers éléments d’analyse montrent clairement que le redécoupage actuel des administrations centrales de l’Etat va à l’encontre de l’intérêt général. Cette réorganisation, en prévision de la « revue générale des politiques publiques » annoncée par Fillon, vise à adapter l’ensemble de la Fonction publique de l’Etat aux visées politiques les plus libérales pour lesquelles le statut et les agents publics sont des obstacles.

C’est donc peu dire que la CGT s’y opposera tout en développant des propositions alternatives de nature à améliorer la qualité du service rendu à toute la population.

Retour en haut